ExplicationlittĂ©raire : Victor Hugo, Hernani, III du dĂ©but de la scĂšne jusqu'Ă  C'est la mort ! Introduction L'acte III scelle le destin d'Hernani. A la scĂšne Hernani entre chez Dom Ruy Gomez, dĂ©guisĂ© en pĂšlerin. A la fin de la scĂšne 2 et au dĂ©but de la scĂšne il dĂ©couvre que le vieux duc s'apprĂȘte Ă  cĂ©lĂ©brer ses noces avec Dona
Elle est fraĂźche, elle est rose, elle a de grands yeux, elle est belle ! On lui a mis une petite robe qui lui va bien. Je l’ai prise, je l’ai enlevĂ©e dans mes bras, je l’ai assise sur mes genoux, je l’ai baisĂ©e sur ses cheveux. Pourquoi pas avec sa mĂšre ? – Sa mĂšre est malade, sa grand mĂšre aussi. C’est bien. Elle me regardait d’un air Ă©tonnĂ© ; caressĂ©e, embrassĂ©e, dĂ©vorĂ©e de baisers et se laissant faire ; mais jetant de temps en temps un coup d’Ɠil inquiet sur sa bonne, qui pleurait dans le coin. Enfin j’ai pu parler. – Marie ! ai-je dit, ma petite Marie ! Je la serrais violemment contre ma poitrine enflĂ©e de sanglots. Elle a poussĂ© un petit cri. – Oh ! vous me faites du mal, monsieur m’a-t-elle dit. Monsieur ! il y a bientĂŽt un an qu’elle ne m’a vu, la pauvre enfant. Elle m’a oubliĂ©, visage, parole, accent ; et puis, qui me reconnaĂźtrait avec cette barbe, ces habits et cette pĂąleur ? Quoi ! dĂ©jĂ  effacĂ© de cette mĂ©moire, la seule oĂč j’eusse voulu vivre ! Quoi ! dĂ©jĂ  plus pĂšre ! ĂȘtre condamnĂ© Ă  ne plus entendre ce mot, ce mot de la langue des enfants, si doux qu’il ne peut rester dans celle des hommes papa ! Et pourtant l’entendre de cette bouche, encore une fois, une seule fois, voilĂ  tout ce que j’eusse demandĂ© pour les quarante ans de vie qu’on me prend. – Écoute, Marie, lui ai-je dit en joignant ses deux petites mains dans les miennes, est-ce que tu ne me connais point ? Elle m’a regardĂ© avec ses beaux yeux, et a rĂ©pondu – Ah bien non ! – Regarde bien, ai-je rĂ©pĂ©tĂ©. Comment, tu ne sais pas qui je suis ? – Si, a-t-elle dit. Un monsieur. HĂ©las ! n’aimer ardemment qu’un seul ĂȘtre au monde, l’aimer avec tout son amour, et l’avoir devant soi, qui vous voit et vous regarde, vous parle et vous rĂ©pond, et ne vous connaĂźt pas ! Ne vouloir de consolation que de lui, et qu’il soit le seul qui ne sache pas qu’il vous en faut parce que vous allez mourir ! – Marie, ai-je repris, as-tu un papa ? – Oui, monsieur, a dit l’enfant. – Eh bien, oĂč est-il ? Elle a levĂ© ses grands yeux Ă©tonnĂ©s. – Ah ! vous ne savez donc pas ? il est mort. Puis elle a criĂ© ; j’avais failli la laisser tomber. – Mort ! disais-je. Marie, sais-tu ce que c’est qu’ĂȘtre mort ? – Oui, monsieur, a-t-elle rĂ©pondu. Il est dans la terre et dans le ciel. Elle a continuĂ© d’elle-mĂȘme – Je prie le bon Dieu pour lui matin et soir sur les genoux de maman. Je l’ai baisĂ©e au front. – Marie, dis-moi ta priĂšre. – Je ne peux pas, monsieur. Une priĂšre, cela ne se dit pas dans le jour. Venez ce soir dans ma maison ; je la dirai. C’était assez de cela. Je l’ai interrompue. – Marie, c’est moi qui suis ton papa. – Ah ! m’a-t-elle dit. J’ai ajoutĂ© – Veux-tu que je sois ton papa ? L’enfant s’est dĂ©tournĂ©e. – Non, mon papa Ă©tait bien plus beau. Je l’ai couverte de baisers et de larmes. Elle a cherchĂ© Ă  se dĂ©gager de mes bras en criant – Vous me faites mal avec votre barbe. Alors, je l’ai replacĂ©e sur mes genoux, en la couvant des yeux, et puis je l’ai questionnĂ©e. – Marie, sais-tu lire ? – Oui, a-t-elle rĂ©pondu. Je sais bien lire. Maman me fait lire mes lettres. – Voyons, lis un peu, lui ai-je dit en lui montrant un papier qu’elle tenait chiffonnĂ© dans une de ses petites mains. Elle a hochĂ© sa jolie tĂȘte. – Ah bien ! je ne sais lire que des fables. – Essaie toujours. Voyons, lis. Elle a dĂ©ployĂ© le papier, et s’est mise Ă  Ă©peler avec son doigt – A, R, ar, R, E, T, rĂȘt, ARRÊT... Je lui ai arrachĂ© cela des mains. C’est ma sentence de mort qu’elle me lisait. Sa bonne avait eu le papier pour un sou. Il me coĂ»tait plus cher, Ă  moi. Il n’y a pas de paroles pour ce que j’éprouvais. Ma violence l’avait effrayĂ©e ; elle pleurait presque. Tout Ă  coup elle m’a dit – Rendez-moi donc mon papier, tiens ! c’est pour jouer. Je l’ai remise Ă  sa bonne. – Emportez-la. Et je suis retombĂ© sur ma chaise, sombre, dĂ©sert, dĂ©sespĂ©rĂ©. À prĂ©sent ils devraient venir ; je ne tiens plus Ă  rien ; la derniĂšre fibre de mon cƓur est brisĂ©e. Je suis bon pour ce qu’ils vont faire. Le dernier jour d'un condamnĂ©, Victor Hugo, 1829, Chapitre XLIII Les meilleurs professeurs de Français disponibles4,9 70 avis 1er cours offert !5 85 avis 1er cours offert !4,9 117 avis 1er cours offert !5 39 avis 1er cours offert !4,9 56 avis 1er cours offert !5 38 avis 1er cours offert !4,9 17 avis 1er cours offert !5 111 avis 1er cours offert !4,9 70 avis 1er cours offert !5 85 avis 1er cours offert !4,9 117 avis 1er cours offert !5 39 avis 1er cours offert !4,9 56 avis 1er cours offert !5 38 avis 1er cours offert !4,9 17 avis 1er cours offert !5 111 avis 1er cours offert !C'est parti On rappellera ici la mĂ©thode du commentaire composĂ© vu en cours francais Partie du commentaireVisĂ©eInformations indispensablesÉcueils Ă  Ă©viter Introduction- PrĂ©senter et situer le texte dans le roman - PrĂ©senter le projet de lecture = annonce de la problĂ©matique - PrĂ©senter le plan gĂ©nĂ©ralement, deux axes- Renseignements brefs sur l'auteur - Localisation du passage dans l'Ɠuvre dĂ©but ? Milieu ? Fin ? - ProblĂ©matique En quoi
 ? Dans quelle mesure
 ? - Les axes de rĂ©flexions- Ne pas problĂ©matiser - Utiliser des formules trop lourdes pour la prĂ©sentation de l'auteur DĂ©veloppement - Expliquer le texte le plus exhaustivement possible - Argumenter pour justifier ses interprĂ©tations le commentaire composĂ© est un texte argumentatif- Etude de la forme champs lexicaux, figures de styles, etc. - Etude du fond ne jamais perdre de vue le fond - Les transitions entre chaque idĂ©e/partie- Construire le plan sur l'opposition fond/forme chacune des parties doit impĂ©rativement contenir des deux - Suivre le dĂ©roulement du texte, raconter l'histoire, paraphraser - Ne pas commenter les citations utilisĂ©es Conclusion- Dresser le bilan - Exprimer clairement ses conclusions - Elargir ses rĂ©flexions par une ouverture lien avec une autre Ɠuvre ? ÉvĂ©nement historique ? etc.- Les conclusions de l'argumentation- RĂ©pĂ©ter simplement ce qui a prĂ©cĂ©dĂ© Ici, nous dĂ©taillerons par l'italique les diffĂ©rents moments du dĂ©veloppement, mais ils ne sont normalement pas Ă  signaler. De mĂȘme, il ne doit normalement pas figurer de tableaux dans votre commentaire composĂ©. Les listes Ă  puces sont Ă©galement Ă  Ă©viter, tout spĂ©cialement pour l'annonce du plan. En outre, votre commentaire ne doit pas ĂȘtre aussi long que celui ici, qui a pour objectif d'ĂȘtre exhaustif. Vous n'aurez jamais le temps d'Ă©crire autant ! Introduction Victor Hugo est un auteur français du XIXĂšme siĂšcle. Il est tout Ă  la fois connu pour ses oeuvres poĂ©tiques, théùtrales et romanesques. Mais il Ă©tait aussi un grand dĂ©fenseur des droits, engagĂ© politiquement pour les plus pauvres et pour les injustices, Ă  travers ses oeuvres autant que son action politique. Le dernier jour d'un condamnĂ©, publiĂ© en 1829, fait partie de ces oeuvres engagĂ©es-lĂ . Il y fait parler un condamnĂ© Ă  mort, quelques semaines avant son passage Ă  l'Ă©chafaud. Le lecteur lit ses pensĂ©es tandis que la date de son exĂ©cution approche, sans qu'on sache qui il est rĂ©ellement et ce qu'il a fait pour subir un tel sort. Il s'agit, de fait, d'un rĂ©quisitoire contre la peine de mort. Le passage qui nous occupe ici relate la rencontre du condamnĂ© avec sa fille, un an aprĂšs leur derniĂšre entrevue. Surtout, c'est la derniĂšre fois qu'il la verra avant l'exĂ©cution de sa peine. Annonce de la problĂ©matique Comment Victor Hugo se sert-il de cette scĂšne pour affirmer l'inhumanitĂ© de la peine Ă  mort ? Annonce des axes Nous verrons dans un premier temps le dĂ©calage qui existe entre le pĂšre et sa fille. Dans un second temps, nous analyserons la maniĂšre dont Victor Hugo en appelle Ă  la sensibilitĂ© du lecteur. Perdu dans ses pensĂ©es, Victor Hugo a, pour sa part, toujours Ă©tait un homme libre. Si libre que sa pensĂ©e lui a valu un exil mais pour l'auteur romantique, l'esprit et la crĂ©ation sont plus forts que tout. DĂ©veloppement Le dĂ©calage entre le pĂšre et la fille La premiĂšre maniĂšre pour Hugo d'Ă©tablir un malaise dans cette scĂšne, c'est le dĂ©calage qu'il fait ressentir entre, d'une part, l'Ă©lan affectif du pĂšre et, d'autre part, la mĂ©fiance effrayĂ©e de la fille. Un pĂšre joyeux trĂšs vite déçu Le chapitre commence d'une maniĂšre trĂšs lyrique, avec une accumulation de termes mĂ©lioratifs, se terminant par un point d'exclamation Elle est fraĂźche, elle est rose, elle a de grands yeux, elle est belle ! ». Cela traduit la joie du pĂšre qui revoie sa fille aprĂšs un an de sĂ©paration. L'impatience est Ă©galement traduite par l'adverbe Enfin ». D'autres marqueurs tĂ©moignent de sa position, d'abord absolument joyeuse. Il qualifie sa fille de maniĂšre trĂšs positive fraĂźche », rose », belle », ma petite Marie », ses beaux yeux », jolie tĂȘte ». En outre, il est mu par des Ă©lans physiques emplis de douceur et de paternitĂ©, comme le montre le champ lexical associĂ© Ă  ses actes caressĂ©e », embrassĂ©e », dĂ©vorĂ©e de baisers », serrais », baisĂ©e », replacĂ©e sur mes genoux », couvant ». En dernier lieu, la proximitĂ© qu'il se sent en droit d'avoir avec elle - comme un pĂšre avec sa fille - est manifestĂ©e de diffĂ©rentes maniĂšres le tutoiement l'utilisation des pronoms possessifs ma », ses », etc. l'utilisation des pronoms dĂ©monstratifs qui donne cette », etc. Mais, devant l'attitude de sa fille, sa dĂ©ception va crescendo. Ainsi, il s'aperçoit que sa fille ne le reconnait pas dĂ©jĂ  effacĂ© de cette mĂ©moire » ou dĂ©jĂ  plus pĂšre », avec l'anaphore sur le mot dĂ©jĂ  » qui insiste sur son dĂ©sespoir. Ainsi, la joie d'abord Ă©prouvĂ©e se transforme en cauchemar et se termine par la volontĂ© de la fuir emportez-la ». Berthe Morisot, EugĂšne Manet et sa fille au jardin, 1883 Car on peut analyser l'attitude de Marie, en tous points opposĂ©e Ă  celle de son pĂšre, Ă  travers le mĂȘme dĂ©roulement. Une fille apeurĂ©e Ainsi, tandis qu'il voit sa fille d'une maniĂšre positive, elle le perçoit d'une maniĂšre nĂ©gative du mal », non, mon papa Ă©tait bien plus beau », etc. Elle reçoit Ă©galement trĂšs mal les Ă©lans physiques et affectifs de son pĂšre coup d’Ɠil inquiet » ; cri », criĂ© », se dĂ©gager », criant », effrayĂ©e », pleurait ». En dernier lieu, sa distance contraste avec la proximitĂ© manifestĂ©e par le condamnĂ©, Ă  travers les mĂȘmes marqueurs elle le vouvoie elle le rejette se dĂ©gager de mes bras » Enfin, il y a un crescendo dans sa peur elle est d'abord seulement inquiĂšte coup d'oeil inquiet », puis elle souffre physiquement Vous me faites du mal » et, finalement, elle pleure presque ». Ce dĂ©calage parfait entre les deux perceptions est aussi terrible en raison de la relation que devrait normalement entretenir un pĂšre et sa fille. L'amour filial est celui auquel tout le monde se destine, puisque l'Homme peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme fait pour se reproduire et Ă©lever son enfant. Or, ici, le condamnĂ© Ă  mort est privĂ© de ce droit. C'est un argument qu'utilise Hugo pour prouver le caractĂšre inhumain de la situation de quel droit priver une fille de son pĂšre, et inversement ? L'appel Ă  la sensibilitĂ© du lecteur Hugo, dans cet extrait, manie le registre pathĂ©tique Ă  la perfection pour sensibiliser le lecteur Ă  cette situation qu'il estime inhumaine. Pour rappel, le registre pathĂ©tique vise Ă  susciter l'Ă©motion du lecteur. Il fonctionne avec le champ lexical de la pitiĂ© ou de la souffrance et des figures de style telles que l'hyperbole ou l'anaphore. Émile Munier, 1882, Petite fille & chat L'adresse directe au lecteur Il est deux passages oĂč Hugo s'adresse pratiquement explicitement au lecteur. Il convient de les analyser. HĂ©las ! n’aimer ardemment qu’un seul ĂȘtre au monde, l’aimer avec tout son amour, et l’avoir devant soi, qui vous voit et vous regarde, vous parle et vous rĂ©pond, et ne vous connaĂźt pas ! Ne vouloir de consolation que de lui, et qu’il soit le seul qui ne sache pas qu’il vous en faut parce que vous allez mourir ! L'utilisation du pronom personnel vous » est ainsi ambiguĂ«. Elle se rapporte d'abord Ă  lui-mĂȘme, dans un Ă©lan lyrique et pathĂ©tique oĂč le locuteur = celui qui parle s'adresse Ă  lui-mĂȘme. Mais, Ă©videmment, c'est aussi le pronom personnel qui s'adresse Ă  l'autre, et, ainsi, au lecteur. C'est la deuxiĂšme personne du pluriel ; en cela, elle revĂȘt un sens collectif. Ici, le collectif, c'est l'humanitĂ© tout entiĂšre. On se rappellera les paroles de Dieu, dans La GenĂšse FĂ©condez et multipliez-vous », pour affirmer que se reproduire est l'un des marqueurs de notre humanitĂ©. Ainsi, Hugo, par l'intermĂ©diaire de son personnage, en appelle Ă  tous les pĂšres et tous les mĂšres pour tĂ©moigner du caractĂšre inhumain d'une telle situation. C'est le sens du il », alors que Marie est un elle » il s'adresse Ă  tous les parents de la Terre, au sujet de tous les enfants de la Terre. Pour un parent, seul l'enfant compte ; d'oĂč la douleur de ne pas se voir reconnu par lui. L'expression pathĂ©tique du sentiment Une autre caractĂ©ristique du registre pathĂ©tique est l'expression du sentiment. Il y a un passage qui correspond absolument Ă  cette dĂ©finition Monsieur ! il y a bientĂŽt un an qu’elle ne m’a vu, la pauvre enfant. Elle m’a oubliĂ©, visage, parole, accent ; et puis, qui me reconnaĂźtrait avec cette barbe, ces habits et cette pĂąleur ? Quoi ! dĂ©jĂ  effacĂ© de cette mĂ©moire, la seule oĂč j’eusse voulu vivre ! Quoi ! dĂ©jĂ  plus pĂšre ! ĂȘtre condamnĂ© Ă  ne plus entendre ce mot, ce mot de la langue des enfants, si doux qu’il ne peut rester dans celle des hommes papa ! Je l’ai couverte de baisers et de larmes. Le Monsieur » qui introduit la lamentation reprend certes la parole de l'enfant, mais, pris indĂ©pendamment, on pourrait Ă©galement y voir une adresse directe au Monsieur » qui lit. Par ailleurs, la prĂ©sence des points d'exclamation signifie bien le caractĂšre expressif du passage on en trouve six !. Le tout se termine dans un Ă©lan ambigu et paradoxal, qui tĂ©moigne de toute la souffrance de sa situation il l'embrasse - signe de son amour absolu - et pleure - signe de son dĂ©sespoir tout aussi absolu. En dernier lieu, il est une formule intĂ©ressante Ă  relever dans ce contexte ĂȘtre condamnĂ© », qui fait Ă©videmment Ă©cho Ă  la situation du forçat, condamnĂ© Ă  mourir. Dans une tragique ironie, le pĂšre souffre plus de la condamnation Ă  ne plus jamais ĂȘtre appelĂ© ainsi qu'Ă  mourir. EugĂšne Delacroix, Le Prisonnier de Chillon, 1834 La condamnation par la fille Car le narrateur, aprĂšs avoir Ă©tĂ© mis Ă  mort par les juges, est mis Ă  mort par sa fille - celle-lĂ  mĂȘme qui fondait son plaisir Ă  vivre et qui l'affirmait comme faisant partie du domaine de la vie, puisqu'ayant contribuĂ© Ă  la perpĂ©tuer. Ainsi, elle lui dit Il est mort » ou encore il est dans la terre et dans le ciel ». On peut voir ce mĂȘme sens dans la lecture qu'elle fait de son arrĂȘt de mort. Aussi, puisque sa fille le renie, il n'a plus rien Ă  faire sur Terre. A partir du moment oĂč le narrateur se trouve niĂ© dans sa paternitĂ©, la rupture de son dernier lien avec les vivants est consommĂ©, il peut abandonner l'existence. Comme il le dit, empli de dĂ©sespoir Et je suis retombĂ© sur ma chaise, sombre, dĂ©sert, dĂ©sespĂ©rĂ©. » La derniĂšre fibre de mon cƓur est brisĂ© ». Conclusion Victor Hugo expose, par cette derniĂšre rencontre entre un pĂšre et sa fille, toute l'inhumanitĂ© contenue dans la condamnation Ă  mort de quelqu'un. Celui-ci est dĂ©jĂ  privĂ© de son existence avant que la peine soit exĂ©cutĂ©. L'auteur choisit une situation pathĂ©tique = qui suscite la pitiĂ© et en tire des conclusions humanistes sur la condition du prisonnier. C'est prendre trop de pouvoir sur la vie que de priver l'homme de l'existence, au sein mĂȘme de celle-ci.
HugoĂ©crit ces Contemplations abouchĂ© Ă  la mort.« Contempler » d’ailleurs n’est pas exactement voir, mais plutĂŽt laisser flotter son regard ou le dĂ©couper au fil du rĂȘve intĂ©rieur ou des lambeaux de son imagination (templum en latin, c’est aussi la dĂ©coupe d’un rectangle dans le ciel).Hugo qui sait si exactement poser son regard (Choses vues) et sa parole, remplit Victor Hugo, un gĂ©ant au cƓur romantique 003806 Au milieu du XIXe siĂšcle, Victor Hugo est au sommet de sa gloire. Il est loin d’imaginer que les vents mauvais de la tragĂ©die, qui frappent ses personnages fictifs, vont heurter son propre entourage et le blesser dans sa chair. À commencer par sa fille ainĂ©e, sa fille adorĂ©e, LĂ©opoldine. Il l’aime tellement qu’il ne peut se rĂ©soudre Ă  la laisser quitter le nid familial au bras d’un autre homme que lui-mĂȘme. LĂ©opoldine est amoureuse d’un jeune homme Charles Vacquerie, fils d'un armateur du Havre. Elle n’a que quatorze ans. "Ma fille est bien trop jeune et ce Vacquerie bien falot", tranche Hugo. Alors LĂ©opoldine patiente et aprĂšs trois ans d’idylle secrĂšte, Victor Hugo, papa poule, ultra possessif et fusionnel, finit par cĂ©der, de mauvaise grĂące. D'ailleurs, il fait tout pour retarder les noces, au point de prĂ©texter une paralysie de la main pour ne pas signer le registre de mariage ! Chose amusante dans Les MisĂ©rables, Jean Valjean feint d’avoir le pouce blessĂ© pour ne pas signer l’acte de mariage entre Marius et Cosette ! LĂ©opoldine et Charles peuvent donc convoler en justes noces. Mais seulement sept mois plus tard, la tragĂ©die frappe. La mort de deux amants À Villequier en Normandie, LĂ©opoldine et son mari montent Ă  bord d’un canot pour une petite virĂ©e sur la Seine. Soudain un tourbillon de vent s'Ă©lĂšve, s’abat sur la voile et fait brusquement chavirer le canot. LĂ©opoldine ne sait pas nager, Charles, lui, est excellent nageur. Il tente tout pour sauver sa femme, qui sous l'eau, se cramponne dĂ©sespĂ©rĂ©ment au canot renversĂ©. Charles plonge et replonge, en vain. Alors, dans un Ă©lan de dĂ©sespoir, il plonge une derniĂšre fois pour rejoindre son Ă©pouse et ne plus la quitter. Les deux jeunes mariĂ©s pĂ©rissent noyĂ©s, ensemble. LĂ©opoldine n'avait que dix-neuf ans. Victor Hugo apprend la terrible nouvelle par la presse, de retour de voyage. Il est anĂ©anti. Sa LĂ©opoldine chĂ©rie n’est plus. Lorsqu’il arrive Ă  Villequier, les deux amants, sont dĂ©jĂ  enterrĂ©s, ensemble dans la mĂȘme sĂ©pulture. La mort de sa fille inspirera Ă  Victor Hugo son plus cĂ©lĂšbre poĂšme, Demain dĂšs l’aube, paru dans le recueil, les Contemplations. Allez, je ne rĂ©siste pas Ă  l’envie de vous le lire le premier quatrain "Demain, dĂšs l'aube, Ă  l'heure oĂč blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m' par la forĂȘt, j'irai par la ne puis demeurer loin de toi plus longtemps". Un pĂšre qui vit dans le culte de sa dĂ©funte filleLa mort de LĂ©opoldine touche tout le clan Hugo, en particulier sa jeune sƓur AdĂšle ĂągĂ©e de 13 ans. Elle, qui a reçu moins d’attention que l’ainĂ©e, pense pouvoir la substituer dans le cƓur de son pĂšre. Mais LĂ©opoldine reste irremplaçable, et son pĂšre inconsolable. La famille vit dans le culte de la dĂ©funte, vĂ©nĂ©rant comme des saintes reliques ses effets personnels et ses robes. Elle hante le cƓur de son pĂšre et continue de faire de l’ombre Ă  sa jeune sƓur. AdĂšle manifeste alors les premiers signes de graves troubles psychiques. En proie Ă  des dĂ©lires de plus en plus frĂ©quents, sa santĂ© mentale se dĂ©grade. Elle est placĂ©e dans en hĂŽpital psychiatrique, oĂč elle finira ses jours. C’est Ă  croire que tous les ĂȘtres chers au grand homme sont condamnĂ©s Ă  souffrir. Les annĂ©es qui suivent la mort de LĂ©opoldine, Hugo n’écrit plus rien, ou presque. Ni théùtre, ni roman, ni poĂšme. L’encre a sĂ©chĂ©, mais pas les larmes. L’actualitĂ© par la rĂ©daction de RTL dans votre boĂźte mail. GrĂące Ă  votre compte RTL abonnez-vous Ă  la newsletter RTL info pour suivre toute l'actualitĂ© au quotidien S’abonner Ă  la Newsletter RTL Info
Visiteur Posté le mardi 26 août 2014 23:10 . ce poéme je les appris en 6eme cétait pas claire dans ma tete je croyais qu'il parle d'une personne vivante je l'avais meme oublier mais en 2nd on a pris ce poéme pour
ï»żNe dites pas mourir ; dites naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme Ɠil. On vit, usant ses jours Ă  se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. OĂč suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, nouĂ© des mille nƓuds funĂšbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est bĂ©ni, Sans voir la main d’oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. Au dolmen de la tour Blanche, jour des Morts, novembre 1854. 1843est une annĂ©e noire pour Victor Hugo. Le naufrage de "Les Burgraves" et la mort de sa fille entraĂźneront Victor Hugo dans l'incuriositĂ© et le dĂ©samour pour la littĂ©rature et la crĂ©ation. C'est Ă  partir de cette date que Victor ne crĂ©era plus rien jusqu'Ă  son exil en 1851 : aucun poĂšme, aucune piĂšce de théùtre, aucun roman.

Le 3 fĂ©vrier 1829, la premiĂšre Ă©dition, anonyme, du Dernier Jour d'un CondamnĂ© dĂ©route les critiques comment ? On ne connaĂźt mĂȘme pas le crime du personnage principal !... MĂȘme pas un mois plus tard, Victor Hugo ajoute une prĂ©face sous forme de comĂ©die, oĂč il met en scĂšne ses dĂ©tracteurs LE POËTE ÉLÉGIAQUE — Ce criminel, [...] qu’a-t-il fait ? on n’en sait rien. [...] Moi, J’eusse contĂ© l’histoire de mon condamnĂ©. [...] Un crime qui n’en soit pas un. Et puis des remords, [...] beaucoup de remords. Mais [...] il faut qu’il meure. Et lĂ  j’aurais traitĂ© ma question de la peine de mort. LE PHILOSOPHE — Pardon. Le livre, comme l’entend monsieur, ne prouverait rien. La particularitĂ© ne rĂ©git pas la gĂ©nĂ©ralitĂ©. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, 1829. En 1832, Victor Hugo publie une nouvelle prĂ©face, oĂč il rĂ©vĂšle enfin, sans ambiguĂŻtĂ©, son projet littĂ©raire L'auteur [...] avoue hautement que Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© n'est autre chose qu'un plaidoyer [...] pour l'abolition de la peine de mort. Ce qu'il a eu dessein de faire, [...] ce n'est pas la dĂ©fense [...] toujours transitoire, [...] de tel ou tel accusĂ© [...] c'est la plaidoirie gĂ©nĂ©rale et permanente pour tous les accusĂ©s prĂ©sents et Ă  venir. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, 1832. Vous connaissez les types de texte ici, on va plutĂŽt trouver du narratif et du descriptif, mais, pour expliquer et argumenter de façon sous-jacente. On parle ainsi d'argumentation indirecte ou d'apologue quand la visĂ©e argumentative passe par le rĂ©cit. On dĂ©signe souvent Le Dernier Jour d’un CondamnĂ© comme un roman Ă  thĂšse la rĂ©flexion philosophique et politique dirige l'intrigue. Mais on va voir que la question du genre littĂ©raire est plus complexe que cela. En tout cas, on va rester attentifs Ă  tous les arguments de Victor Hugo contre la peine de mort, cachĂ©s dans le rĂ©cit. I — BicĂȘtre. CondamnĂ© Ă  mort ! VoilĂ  cinq semaines que j’habite avec cette pensĂ©e, toujours seul avec elle, toujours glacĂ© de sa prĂ©sence. Autrefois [...] j'Ă©tais un homme comme un autre homme. [...] Maintenant je suis captif [...] d'une idĂ©e [...] Elle est toujours lĂ , [...] comme un spectre de plomb Ă  mes cĂŽtĂ©s. [...] Je n’ai plus qu’une pensĂ©e, qu’une conviction, qu’une certitude condamnĂ© Ă  mort ! DĂšs les premiers mots, le passĂ© s'oppose au prĂ©sent Ă  partir du moment oĂč l'accusĂ© se sait condamnĂ©, il n'est plus un homme, en tout cas, il n'est plus un homme comme un autre homme. Symboliquement, il a quittĂ© le monde des vivants. Victor Hugo joue sans cesse avec les registres littĂ©raires. D'abord le pathĂ©tique, pour inspirer la pitiĂ©, avec des exclamations, rĂ©pĂ©titions, souffrances concrĂštes, effets d'amplification. Mais on tend aussi vers le registre lyrique l'expression poĂ©tique d'une douleur Ă  la premiĂšre personne. On peut mĂȘme parler d'un lyrisme Ă©lĂ©giaque cette douleur est causĂ©e par une perte, un deuil, la fuite du temps, la mort. D'ailleurs, tout le texte sera Ă  la premiĂšre personne. Quel est ce genre littĂ©raire ? Une autobiographie ? Des MĂ©moires ? Non le narrateur n'est pas un auteur rĂ©el, il n'a pas de rĂŽle historique. Ici, le dĂ©roulement des pensĂ©es rappelle le monologue intĂ©rieur et les entrĂ©es Ă  intervalles rĂ©guliers Ă©voquent le Journal, mais on ne trouve pas de dates. Dans ses prĂ©faces, Victor Hugo ne tranche pas, il semble surtout vouloir jouer avec l'effet de vraisemblance Ou il y a eu, en effet, une liasse de papiers [...] sur lesquels on a trouvĂ© [...] les derniĂšres pensĂ©es d’un misĂ©rable ; ou il s’est rencontrĂ© un homme, [...] un poĂšte, [...] [saisi par] cette idĂ©e, [et qui] n’a pu s’en dĂ©barrasser qu’en la jetant dans ce livre. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, Retour en arriĂšre, le narrateur n’est pour l’instant qu’un simple accusĂ©, que le guichetier emmĂšne en salle d’audience C’était par une belle matinĂ©e d’aoĂ»t. Il y avait trois jours que mon procĂšs Ă©tait entamĂ©, trois jours que mon nom et mon crime ralliaient chaque matin une nuĂ©e de spectateurs, qui venaient s’abattre sur les bancs de la salle d’audience comme des corbeaux autour d’un cadavre. C'est ici une premiĂšre rĂ©fĂ©rence au théùtre la peine de mort attise la curiositĂ© et devient un spectacle, on parlerait aujourd'hui d'un théùtre mĂ©diatique. Mais cela va plus loin... Les corbeaux reprĂ©sentent les gens de la cour de justice comme des charognards qui se nourrissent des morts. C'est un premier argument contre la peine de mort elle dĂ©shumanise la sociĂ©tĂ©. Vous allez voir que Victor Hugo utilise souvent des images impressionnantes, car il souhaite convaincre, et persuader. Convaincre, c'est faire appel Ă  des arguments rationnels. Persuader, sollicite en plus des Ă©motions, et donc, des images. Or justement, la comparaison va relier les deux dimensions, regardez derriĂšre l'argument rationnel les hommes ont une fascination pour la mort, on trouve une image Ă©motive les corbeaux se nourrissent d'un cadavre. Le point commun, c'est l'horreur instinctive que nous inspirent les charognards. À ce moment du rĂ©cit, l’accusĂ© n’est pas encore condamnĂ© Ă  mort, mais son destin est dĂ©jĂ  annoncĂ© par cette image de cadavre. Victor Hugo joue avec le registre tragique le hĂ©ros est Ă©crasĂ© par un destin, une fatalitĂ© qui le dĂ©passe. Quand l’accusĂ© arrive Ă  sa place, il se fait un grand silence Au moment oĂč le tumulte cessa dans la foule, il cessa aussi dans mes idĂ©es. Je compris tout Ă  coup clairement [...] que le moment dĂ©cisif Ă©tait venu, et que j’étais lĂ  pour entendre ma sentence. Pour mettre en valeur une idĂ©e, Victor Hugo utilise souvent des effets de contraste violents. L'accusĂ© n'Ă©prouve pas de terreur Ă  ce moment lĂ , parce qu'il regarde une fleur Au bord de la croisĂ©e, une jolie petite plante jaune, toute pĂ©nĂ©trĂ©e d’un rayon de soleil, jouait avec le vent dans une fente de la pierre. C'est ce qu'on appelle la focalisation interne toutes les marques de subjectivitĂ© se rapportent au mĂȘme personnage principal perceptions, pensĂ©es, souvenirs, opinions, sentiments... Le lecteur va vivre l'expĂ©rience du point de vue du personnage principal, qui assiste Ă  son procĂšs sans tout comprendre. Par exemple, il est obligĂ© d’interprĂ©ter les attitudes des personnes prĂ©sentes Les juges, au fond de la salle, avaient l’air satisfait, probablement de la joie d’avoir bientĂŽt fini. [...] Les jurĂ©s seuls paraissaient blĂȘmes et abattus, mais c’était apparemment de fatigue d’avoir veillĂ© toute la nuit. Cette fatigue des jurĂ©s introduit un nouvel argument ils portent une responsabilitĂ© Ă©crasante, d'autant que la mort d'un innocent serait irrĂ©parable. Lors de l'abolition de la peine de mort en France en 1981, Robert Badinter dĂ©veloppe cet argument dans son discours Douze personnes, dans une dĂ©mocratie, qui ont le droit de dire celui-lĂ  doit vivre, celui-lĂ  doit mourir ! Je le dis cette conception de la justice ne peut ĂȘtre celle des pays de libertĂ©. Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, 1981. Arrive alors l'avocat qui se veut rassurant — Ils auront sans doute Ă©cartĂ© la prĂ©mĂ©ditation, et alors ce ne sera que les travaux forcĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ©. — Que dites-vous lĂ , monsieur ? [...] PlutĂŽt cent fois la mort ! Avec cette rĂ©action, Victor Hugo veut montrer que la peine de mort n’est pas dissuasive. En fait, la mort est mĂȘme souvent prĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la perpĂ©tuitĂ© car elle semble abrĂ©ger la punition, le condamnĂ© ne parvient pas Ă  imaginer sa propre mort Qu’est-ce que je risque Ă  dire cela ? A-t-on jamais prononcĂ© sentence de mort autrement qu’à minuit, [...] par une froide nuit [...] d’hiver ? Mais au mois d’aoĂ»t, [...] un si beau jour, [...] c’est impossible ! Tout Ă  coup, le prĂ©sident invite tout le monde Ă  se lever Une figure insignifiante et nulle, [...] c’était, je pense, le greffier, [...] lut le verdict. [...] Une sueur froide sortit de tous mes membres ; je m’appuyai au mur pour ne pas tomber. Le narrateur ne rapporte pas la sentence, seulement sa propre rĂ©action physique comme assourdi et hors de lui-mĂȘme. Victor Hugo joue ici avec les limites de la focalisation interne. Une rĂ©volution venait de se faire en moi. [...] Je distinguais clairement comme une clĂŽture entre le monde et moi. [...] Ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se pressaient sur mon passage, je leur trouvais des airs de fantĂŽmes. DĂšs que la sentence tombe, le condamnĂ© est irrĂ©mĂ©diablement sĂ©parĂ© du monde des vivants. Victor Hugo va d'abord illustrer cette idĂ©e en jouant avec le registre fantastique le surnaturel fait irruption dans la rĂ©alitĂ©. Les vivants sont comme des fantĂŽmes pour le condamnĂ©, et rĂ©ciproquement. Deux jeunes filles me suivaient avec des yeux avides. — Bon, [...] ce sera dans six semaines ! C'est une premiĂšre marque d'humour noir de Victor Hugo la sentence de mort est une bonne nouvelle pour ces jeunes filles. Alors qu'on imagine ces personnages plus aptes Ă  la compassion, au contraire, elles font preuve de sadisme. Dans ces conditions, la peine de mort n'a plus rien de dissuasif. Nous nions [...] qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, [...] il ruine en lui toute sensibilitĂ©, partant toute vertu. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, 1832. Avec ces jeunes filles, Victor Hugo montre comment les spectateurs perdent leur humanitĂ© en suivant les exĂ©cutions. Aujourd’hui encore, mĂȘme alors que l’exĂ©cution n’est pas publique, on retrouve cette fascination. Regardez par exemple le moment de la mort de Ted Bundy, un cĂ©lĂšbre serial killer amĂ©ricain. III Dans son cachot, le narrateur essaye de trouver des raisons d’accepter son sort... Les hommes, [...] sont tous condamnĂ©s Ă  mort avec des sursis indĂ©finis. Qu’y a-t-il donc de si changĂ© Ă  ma situation ? Depuis l’heure oĂč mon arrĂȘt m’a Ă©tĂ© prononcĂ©, combien sont morts qui s’arrangeaient pour une longue vie ! Ah, n’importe, c’est horrible ! Ici, Victor Hugo montre la diffĂ©rence entre la conscience de la mort, le concept philosophique, et la sentence de mort, qui produit un isolement radical et dĂ©sespĂ©rant. Vous verrez que sans cesse le condamnĂ© oscille entre espoir et dĂ©sespoir. IV Maintenant, notre condamnĂ© est transfĂ©rĂ© Ă  BicĂȘtre, qui a Ă©tĂ© construit par Louis XIII sur les ruines d'une ancienne forteresse. Le bĂątiment sert d'abord Ă  soigner les soldats invalides, mais on finit par y garder aussi les vagabonds, les aliĂ©nĂ©s, les criminels, et mĂȘme les homosexuels et les prisonniers politiques. Vu de loin, cet Ă©difice [...] garde quelque chose de son ancienne splendeur. [...] Mais Ă  mesure que vous approchez, le palais devient masure. [...] Aux fenĂȘtres [...] de massifs barreaux de fer [...] auxquels se colle [la] figure d’un galĂ©rien ou d’un fou. C’est la vie vue de prĂšs. On entre de plain pied dans le registre rĂ©aliste un regard qui s’attache aux dĂ©tails sordides d’une rĂ©alitĂ© banale. Et c’est lĂ  ce que veut nous montrer Victor Hugo ce cadre atroce constitue le quotidien de tous les prisonniers. V Victor Hugo donne juste assez d'informations sur le condamnĂ© pour favoriser l'identification et garder une dimension universelle Ă  son tĂ©moignage. Ma jeunesse, ma docilitĂ©, [...] quelques mots en latin [...] m’ouvrirent la promenade une fois par semaine [...] et firent disparaĂźtre la camisole oĂč j’étais paralysĂ©. AprĂšs bien des hĂ©sitations, on m’a aussi donnĂ© de l’encre [et] du papier. Le condamnĂ© peut donc Ă©crire son histoire au fur et Ă  mesure. C'est une maniĂšre pour Victor Hugo de prĂ©server la vraisemblance. On se rapproche du genre du journal, mais sans les dates. Notre condamnĂ© Ă  mort rencontre aussi les autres dĂ©tenus, qui lui parlent en argot. Ils m’apprennent [...] Ă  rouscailler bigorne, comme ils disent. [...] Épouser la veuve ĂȘtre pendu, [...] le taule le bourreau, la cĂŽne la mort, la placarde la place des exĂ©cutions. Quand on entend parler cette langue, cela fait l’effet [...] d’une liasse de haillons que l’on secouerait devant vous. C'est un autre trait de l'Ă©criture de Victor Hugo il mĂ©lange les niveaux de langage soutenu, courant, familier. Mais vous allez voir que cela permet surtout d’illustrer des modes d’expression variĂ©s la prose, le vers, l’oral, l’écrit, le chant et mĂȘme la danse. VI Maintenant qu’il a de l’encre et du papier, le condamnĂ© se pose la premiĂšre question de l'Ă©crivain pourquoi Ă©crire ? Pourquoi n’essaierais-je pas de me dire Ă  moi-mĂȘme tout ce que j’éprouve de violent et d’inconnu dans la situation abandonnĂ©e oĂč me voilĂ  ? [...] Ces angoisses, le seul moyen d’en moins souffrir, c’est de les observer. Mais il songe aussi que son tĂ©moignage pourrait ĂȘtre lu par d’autres, et notamment par les juges N’y aura-t-il pas [...] dans cette espĂšce d’autopsie intellectuelle d’un condamnĂ©, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? Se sont-ils jamais seulement arrĂȘtĂ©s Ă  cette idĂ©e poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence [...] ? Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute [...] qu'il n’y a rien avant, rien aprĂšs. Ces feuilles les dĂ©tromperont. Pour faire reculer l’ignorance, le scientifique doit regarder de prĂšs la rĂ©alitĂ©, il fait une autopsie. Mais la peine de mort, par son sensationnalisme et son instantanĂ©itĂ©, nous focalise sur la souffrance physique elle cache l’avant et l’aprĂšs. Avant, c’est la souffrance morale, et aprĂšs, c’est aussi une interrogation importante aux yeux de Victor Hugo nul ne sait si l’ñme existe et ce qu’elle devient aprĂšs la mort. La peine de mort nie Ă  la fois l’intelligence humaine et la spiritualitĂ©. VII Le condamnĂ© se met aussitĂŽt Ă  douter de ses raisons d'Ă©crire. Que ce que j’écris ici puisse ĂȘtre un jour utile Ă  d’autres, [...] Ă  quoi bon ? [...] Quand ma tĂȘte aura Ă©tĂ© coupĂ©e, qu’est-ce que cela me fait qu’on en coupe d’autres ? [...] Ah ! c’est moi qu’il faudrait sauver ! C'est un nouvel argument que Victor Hugo prĂ©sente ici une fois condamnĂ©, le coupable ne songe plus qu’à sa propre fin. Le sort des autres lui devient indiffĂ©rent, il n'est plus disponible pour rĂ©parer son crime... Au contraire, le prisonnier Ă  perpĂ©tuitĂ© a le temps de rĂ©flĂ©chir et de s'amender. VIII AprĂšs cette phase de dĂ©sespoir, le condamnĂ© tente de calculer froidement le temps qui lui reste, mais cela finit comme un compte Ă  rebours, d’autant plus oppressant qu’il ne sait plus depuis combien de temps il est enfermĂ©. En tout six semaines. La petite fille avait raison. Or voilĂ  cinq semaines au moins [...] que je suis dans ce cabanon de BicĂȘtre. MalgrĂ© ce qu'annonce le titre, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© ne se dĂ©roule pas sur 24h, mais sur 1 semaine Ă  peu prĂšs, avec en plus des retours dans le passĂ©. Pour Victor Hugo, le plus important, ce n'est pas l'unitĂ© de temps ou de lieu, mais bien l'unitĂ© d'action. IX Le condamnĂ© a fait son testament. Il rĂ©alise qu’il ne pourra rien lĂ©guer Ă  ses proches, car il doit payer son exĂ©cution. La guillotine, c’est fort cher. Je laisse une mĂšre, je laisse une femme, je laisse un enfant. J’admets que je sois justement puni ; ces innocentes, qu’ont-elles fait ? N’importe ; on les dĂ©shonore, on les ruine. C’est la justice. Ma pauvre vieille mĂšre a soixante-quatre ans, elle mourra du coup. [...] Ma femme [...] mourra aussi. À moins qu’elle ne devienne folle. Mais ma fille, [...] ma pauvre petite Marie, qui rit, qui chante Ă  cette heure [...] c’est elle qui me fait mal ! Avec ce registre pathĂ©tique, Hugo veut montrer que la peine de mort enlĂšve dĂ©finitivement une personne Ă  ses proches sans pour autant soulager les victimes. Elle augmente l'injustice en punissant des innocents. X Le prisonnier dĂ©crit son cachot avec minutie. C'est dĂ©jĂ  pratiquement un tombeau. Huit pieds carrĂ©s. Quatre murailles de pierre de taille. [...] Une noire voĂ»te en ogive. [...] Pas de fenĂȘtres, pas mĂȘme de soupirail. [...] Je me trompe ; au centre de la porte, [...] une ouverture [...] coupĂ©e d’une grille en croix. Un jour il entend mĂȘme son guichetier faire une visite guidĂ©e. Le prisonnier est radicalement coupĂ© des autres, ceux qui continuent Ă  vivre, ceux qui continuent d'ĂȘtre humains. Ces cachots sont tout ce qui reste de l’ancien chĂąteau de BicĂȘtre tel qu’il fut bĂąti dans le quinziĂšme siĂšcle par le cardinal de Winchester, le mĂȘme qui fit brĂ»ler Jeanne d’Arc. J’ai entendu dire cela Ă  des curieux [...] qui me regardaient Ă  distance comme une bĂȘte de la mĂ©nagerie. Le guichetier a eu cent sous. Cette rĂ©fĂ©rence Ă  Jeanne d'Arc n'est pas anodine, elle rappelle que la peine de mort sert des intĂ©rĂȘts politiques il faut se dĂ©barrasser d'une personne qui serait gĂȘnante mĂȘme en prison. Cela favorise donc les faux procĂšs. Autre argument le condamnĂ© Ă  mort devient martyr d'une cause. C'est le cas des rĂ©sistants et des libĂ©rateurs, mais Ă©galement des terroristes. Au lieu de faire un exemple, la peine de mort donne le criminel en exemple. Aux yeux de certains [...] l'exĂ©cution du terroriste en fait une sorte de hĂ©ros [...] au service d'une cause. DĂšs lors apparaĂźt le risque [...] de voir se lever [...] pour un terroriste exĂ©cutĂ©, vingt jeunes gens Ă©garĂ©s. [...] La peine de mort nourrit le terrorisme. Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, Pendant la nuit, le prisonnier regarde les murs de sa cellule avec une lampe, ils sont couverts d’inscriptions. Ce sont les derniĂšres traces des condamnĂ©s, comme autant d'Ă©pitaphes. J’aimerais Ă  [...] retrouver chaque homme sous chaque nom ; Ă  rendre le sens et la vie Ă  ces inscriptions mutilĂ©es, [...] corps sans tĂȘte comme ceux qui les ont Ă©crits. Pauvre jeune homme ! Que leurs prĂ©tendues nĂ©cessitĂ©s politiques sont hideuses ! La rĂ©fĂ©rence Ă  Jeanne d'Arc permettait Ă  Victor Hugo de prĂ©parer cette dĂ©nonciation les partisans rĂ©publicains comme Jean-François Bories sont sacrifiĂ©s pour des raisons politiques. XII Sous une toile d'araignĂ©e, le condamnĂ© dĂ©couvre encore d’autres noms Dautun, celui qui a coupĂ© son frĂšre en quartiers, et qui allait la nuit dans Paris jetant la tĂȘte dans une fontaine et le tronc dans un Ă©gout ; Poulain, celui qui a assassinĂ© sa femme ; Jean Martin, celui qui a tirĂ© un coup de pistolet Ă  son pĂšre [...] ; Castaing, ce mĂ©decin qui a empoisonnĂ© son ami, et qui, [...] au lieu de remĂšde lui redonnait du poison. Papavoine, l’horrible fou qui tuait les enfants Ă  coups de couteau sur la tĂȘte ! VoilĂ  [...] quels ont Ă©tĂ© avant moi les hĂŽtes de cette cellule. C’est ici, sur la mĂȘme dalle oĂč je suis, qu’ils ont pensĂ© leurs derniĂšres pensĂ©es, ces hommes de meurtre et de sang ! [...] Ils se sont succĂ©dĂ© Ă  de courts intervalles ; [...] ce cachot ne dĂ©semplit pas. Victor Hugo cite les pires crimes mutilations, parricide, empoisonnement avec prĂ©mĂ©ditation, meurtre d'enfants. Est-ce que cela ne justifie pas la peine de mort ? Victor Hugo donne dĂ©jĂ  quelques Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse D'abord, la peine de mort fait disparaĂźtre les criminels, comme la toile d'araignĂ©e qui couvre leurs noms et leurs pensĂ©es. Les causes et motifs des crimes disparaissent avec eux. Seul un vĂ©ritable travail d'analyse donnerait les clĂ©s de comprĂ©hension des crimes, et donc le moyen de les empĂȘcher Ă  l'avenir. Par exemple, Michel Fourniret, incarcĂ©rĂ© depuis 2008, avoue de nouveaux meurtres 10 ans plus tard, et participe Ă  la recherche des corps. La peine de mort aurait laissĂ© ces crimes irrĂ©solus, sans reconnaissance par la sociĂ©tĂ©, ni sanction pĂ©nale, ce qui est le pire cas de figure pour les familles des victimes. Ensuite, si la peine de mort Ă©tait dissuasive, pourquoi ce cachot est-il sans cesse rempli ? Aucun de ces crimes passionnels n'a pu ĂȘtre empĂȘchĂ© par la peine de mort. Ceux qui croient Ă  la valeur dissuasive de la peine de mort mĂ©connaissent la vĂ©ritĂ© humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrĂȘtĂ©e par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-lĂ , sont nobles. Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, 1981. Enfin, pour Victor Hugo, jouer avec la vie et la mort, c'est nier l'importance de la spiritualitĂ© dans la vie humaine. Le registre fantastique lui permet d'illustrer cette question que devient l'Ăąme d'un homme exĂ©cutĂ© ? Il m’a semblĂ© tout Ă  coup [...] que le cachot Ă©tait plein d’hommes [...] qui portaient leur tĂȘte [...] par la bouche, parce qu’il n’y avait pas de chevelure. [...] Ô les Ă©pouvantables spectres ! [...] ChimĂšre Ă  la Macbeth ! Les morts sont morts, ceux-lĂ  surtout. [...] Bien cadenassĂ©s dans le sĂ©pulcre. [...] Comment se fait-il donc que j’aie eu peur ainsi ? Ici Victor Hugo est ironique il laisse entendre l'inverse de ce qu'il dit. S'il y a des morts qui reviennent, ce sont justement ceux-lĂ  ceux qui ont eu une mort violente. Et ce n'est pas un cadenas qui les empĂȘchera de revenir ! Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© n'est pas dĂ©coupĂ© en grandes parties, mais on peut retrouver une logique théùtrale avec ici la fin d'un premier acte et un changement de dĂ©cor. On a tous les Ă©lĂ©ments de l'intrigue, le mĂ©canisme tragique est enclenchĂ©. Avec mes vidĂ©os, je vais tenter de suivre ces mouvements. ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 📓 Texte intĂ©gral au format PDF ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 🃏 Chapitres I Ă  XII axes de lecture ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 🎹 Portraits des personnages ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© đŸŽžïž Chapitres I Ă  XII diaporama de la vidĂ©o ⇹ Hugo, Le dernier jour d'un condamnĂ© 🎧 chapitres 1 Ă  12 podcast ⇹ Hugo, Le dernier jour d'un condamnĂ© 📚 Chapitres 1 Ă  12 PDF

Onvoit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; Nous prĂ©sentons deux textes de Victor Hugo. Le premier est celui du rĂ©cit de la mort d'HonorĂ© de Balzac 1799-1850 tandis que le deuxiĂšme est celui de l'oraison funĂšbre qu'il a prononcĂ©e devant la tombe du cĂ©lĂšbre Ă©crivain. Écrit d'un ton familier, le premier est truffĂ© d'anecdotes. Le second est chargĂ© de gravitĂ©, exaltant le gĂ©nie de Balzac et mĂ©ditant la mort qui est une grande Ă©galitĂ© et une grande liberté».La mort de Balzac par Victor Hugo Le 18 aoĂ»t 1850, ma femme, qui avait Ă©tĂ© dans la journĂ©e pour voir Mme de Balzac, me dit que M. de Balzac se mourait. J'y courus. M. de Balzac Ă©tait atteint depuis dix-huit mois d'une hypertrophie du coeur. AprĂšs la rĂ©volution de FĂ©vrier, il Ă©tait allĂ© en Russie et s'y Ă©tait mariĂ©. Quelques jours avant son dĂ©part, je l'avais rencontrĂ© sur le boulevard; il se plaignait dĂ©jĂ  et respirait bruyamment. En mai 1850, il Ă©tait revenu en France, mariĂ©, riche et mourant. En arrivant, il avait dĂ©jĂ  les jambes enflĂ©es. Quatre mĂ©decins consultĂ©s l'auscultĂšrent. L'un d'eux, M. Louis, me dit le 6 juillet Il n'a pas six semaines Ă  vivre. C'Ă©tait la mĂȘme maladie que FrĂ©dĂ©ric SouliĂ©. Le 18 aoĂ»t, j'avais mon oncle, le gĂ©nĂ©ral Louis Hugo, Ă  dĂźner. SitĂŽt levĂ© de table, je le quittai et je pris un fiacre qui me mena avenue FortunĂ©e, n° 14, dans le quartier Beaujon. C'Ă©tait lĂ  que demeurait M. de Balzac. Il avait achetĂ© ce qui restait de l'hĂŽtel de M. de Beaujon, quelques corps de logis bas Ă©chappĂ©s par hasard Ă  la dĂ©molition ; il avait magnifiquement meublĂ© ces masures et s'en Ă©tait fait un charmant petit hĂŽtel, ayant porte cochĂšre sur l'avenue FortunĂ©e et pour tout jardin une cour longue et Ă©troite oĂč les pavĂ©s Ă©taient coupĂ©s çà et lĂ  de plates-bandes. Je sonnai. Il faisait un clair de lune voilĂ© de nuages. La rue Ă©tait dĂ©serte. On ne vint pas. Je sonnai une seconde fois. La porte s'ouvrit. Une servante m'apparut avec une chandelle. Que veut monsieur ? » dit-elle. Elle pleurait. Je dis mon nom. On me fit entrer dans le salon qui Ă©tait au rez-de- chaussĂ©e, et dans lequel il y avait, sur une console opposĂ©e Ă  la cheminĂ©e, le buste colossal en marbre de Balzac par David. Une bougie brĂ»lait sur une riche table ovale posĂ©e au milieu du salon et qui avait en guise de pieds six statuettes dorĂ©es du plus beau goĂ»t. Une autre femme vint qui pleurait aussi et me dit Il se meurt. Madame est rentrĂ©e chez elle. Les mĂ©decins l'ont abandonnĂ© depuis hier. Il a une plaie Ă  la jambe gauche. La gangrĂšne y est. Les mĂ©decins ne savent ce qu'ils font. Ils disaient que l'hydropisie de monsieur Ă©tait une hydropisie couenneuse, une infiltration, c'est leur mot, que la peau et la chair Ă©taient comme du lard et qu'il Ă©tait impossible de lui faire la ponction. Eh bien, le mois dernier, en se couchant, Monsieur s'est heurtĂ© Ă  un meuble historiĂ©, la peau s'est dĂ©chirĂ©e, et toute l'eau qu'il avait dans le corps a coulĂ©. Les mĂ©decins ont dit Tiens ! Cela les a Ă©tonnĂ©s et depuis ce temps-lĂ  ils lui ont fait la ponction. Ils ont dit Imitons la nature. Mais il est venu un abcĂšs Ă  la jambe. C'est M. Roux qui l'a opĂ©rĂ©. Hier on a levĂ© l'appareil. La plaie, au lieu d'avoir suppurĂ©, Ă©tait rouge, sĂšche et brĂ»lante. Alors ils ont dit Il est perdu ! et ne sont plus revenus. On est allĂ© chez quatre ou cinq, inutilement. Tous ont rĂ©pondu Il n'y a rien Ă  faire. La nuit a Ă©tĂ© mauvaise. Ce matin, Ă  neuf heures, monsieur ne parlait plus. Madame a fait chercher un prĂȘtre. Le prĂȘtre est venu et a donnĂ© Ă  Monsieur l'extrĂȘme- onction. Monsieur a fait signe qu'il comprenait. Une heure aprĂšs, il a serrĂ© la main Ă  sa soeur, Mme de Surville. Depuis onze heures il rĂąle et ne voit plus rien. Il ne passera pas la nuit. Si vous voulez, monsieur, je vais aller chercher M. de Surville, qui n'est pas encore couchĂ©. » La femme me quitta. J'attendis quelques instants. La bougie Ă©clairait Ă  peine le splendide ameublement du salon et de magnifiques peintures de Porbus et de Holbein suspendues aux murs. Le buste de marbre se dressait vaguement dans cette ombre comme le spectre de l'homme qui allait mourir. Une odeur de cadavre emplissait la maison. M. de Surville entra et me confirma tout ce que m'avait dit la servante. Je demandai Ă  voir M. de Balzac. Nous traversĂąmes un corridor, nous montĂąmes un escalier couvert d'un tapis rouge et encombrĂ© d'objets d'art, vases, statues, tableaux, crĂ©dences portant des Ă©maux, puis un autre corridor, et j'aperçus une porte ouverte. J'entendis un rĂąlement haut et sinistre. J'Ă©tais dans la chambre de Balzac. Un lit Ă©tait au milieu de cette chambre. Un lit d'acajou ayant au pied et Ă  la tĂȘte des traverses et des courroies qui indiquaient un appareil de suspension destinĂ© Ă  mouvoir le malade. M. de Balzac Ă©tait dans ce lit, la tĂȘte appuyĂ©e sur un monceau d'oreillers auxquels on avait ajoutĂ© des coussins de damas rouge empruntĂ©s au canapĂ© de la chambre. Il avait la face violette, presque noire, inclinĂ©e Ă  droite, la barbe non faite, les cheveux gris et coupĂ©s courts, l'oeil ouvert et fixe. Je le voyais de profil, et il ressemblait ainsi Ă  l'Empereur. Une vieille femme, la garde, et un domestique se tenaient debout des deux cĂŽtĂ©s du lit. Une bougie brĂ»lait derriĂšre le chevet sur une table, une autre sur une commode prĂšs de la porte. Un vase d'argent Ă©tait posĂ© sur la table de nuit. Cet homme et cette femme se taisaient avec une sorte de terreur et Ă©coutaient le mourant rĂąler avec bruit. La bougie au chevet Ă©clairait vivement un portrait d'homme jeune, rose et souriant, suspendu prĂšs de la cheminĂ©e. Une odeur insupportable s'exhalait du lit. Je soulevai la couverture et je pris la main de Balzac. Elle Ă©tait couverte de sueur. Je la pressai. Il ne rĂ©pondit pas Ă  la pression. C'Ă©tait cette mĂȘme chambre oĂč je l'Ă©tais venu voir un mois auparavant. Il Ă©tait gai, plein d'espoir, ne doutant pas de sa guĂ©rison, montrant son enflure en riant. Nous avions beaucoup causĂ© et disputĂ© politique. Il me reprochait ma dĂ©magogie». Lui Ă©tait lĂ©gitimiste. Il me disait Comment avez-vous pu renoncer avec tant de sĂ©rĂ©nitĂ© Ă  ce titre de pair de France, le plus beau aprĂšs le titre de roi de France» - Il me disait aussi J'ai la maison de M. de Beaujon, moins le jardin, mais avec la tribune sur la petite Ă©glise du coin de la rue. J'ai lĂ  dans mon escalier une porte qui ouvre sur l'Ă©glise. Un tour de clef et je suis Ă  la messe. Je tiens plus Ă  cette tribune qu'au jardin.» - Quand je l'avais quittĂ©, il m'avait reconduit jusqu'Ă  cet escalier, marchant pĂ©niblement, et m'avait montrĂ© cette porte, et il avait criĂ© Ă  sa femme Surtout, fais bien voir Ă  Hugo tous mes tableaux.» La garde me dit Il mourra au point du jour.» Je redescendis, emportant dans ma pensĂ©e cette figure livide ; en traversant le salon, je retrouvai le buste immobile, impassible, altier et rayonnant vaguement, et je comparai la mort Ă  l'immortalitĂ©. RentrĂ© chez moi, c'Ă©tait un dimanche, je trouvai plusieurs personnes qui m'attendaient, entre autres Riza-Bey, le chargĂ© d'affaires de Turquie, Navarrete, le poĂšte espagnol et le comte Arrivabene, proscrit italien. Je leur dis Messieurs, l'Europe va perdre un grand esprit.» Il mourut dans la nuit. Il avait cinquante et un ans. Extrait de Chez Soi, n° 43, 10 aoĂ»t 1907; Site Les cĂ©lĂ©britĂ©s et la mort ses-obseques-sa-tombe-anecdote Dicours prononcĂ© aux funĂ©railles de M. HonorĂ© de Balzac 29 aoĂ»t 1850 Messieurs, L'homme qui vient de descendre dans cette tombe Ă©tait de ceux auxquels la douleur publique fait cortĂšge. Dans les temps oĂč nous sommes, toutes les fictions sont Ă©vanouies. Les regards se fixent dĂ©sormais non sur les tĂȘtes qui rĂšgnent, mais sur les tĂȘtes qui pensent, et le pays tout entier tressaille lorsqu'une de ces tĂȘtes disparaĂźt. Aujourd'hui, le deuil populaire, c'est la mort de l'homme de talent; le deuil national, c'est la mort de l'homme de gĂ©nie. Messieurs, le nom de Balzac se mĂȘlera Ă  la trace lumineuse que notre Ă©poque laissera Ă  l'avenir. M. de Balzac faisait partie de cette puissante gĂ©nĂ©ration des Ă©crivains du dix-neuviĂšme siĂšcle qui est venue aprĂšs NapolĂ©on, de mĂȘme que l'illustre plĂ©iade du dix-septiĂšme est venue aprĂšs Richelieu - comme si, dans le dĂ©veloppement de la civilisation, il y avait une loi qui fit succĂ©der aux dominateurs par le glaive les dominateurs de par l'esprit. M. de Balzac Ă©tait un des premiers parmi les plus grands, un des plus hauts parmi les meilleurs. Ce n'est pas le lieu de dire ici tout ce qu'Ă©tait cette splendide et souveraine intelligence. Tous ses livres ne forment qu'un livre, livre vivant, lumineux, profond, oĂč l'on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effarĂ© et de terrible mĂȘlĂ© au rĂ©el, toute notre civilisation contemporaine; livre merveilleux que le poĂšte a intitulĂ© comĂ©die et qu'il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dĂ©passe Tacite et qui va jusqu'Ă  SuĂ©tone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu'Ă  Rabelais; livre qui est l'observation et qui est l'imagination; qui prodigue le vrai, l'intime, le bourgeois, le trivial, le matĂ©riel, et qui par moment, Ă  travers toutes les rĂ©alitĂ©s brusquement et largement dĂ©chirĂ©es, laisse tout Ă  coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idĂ©al. À son insu, qu'il le veuille ou non, qu'il y consente ou non, l'auteur de cette oeuvre immense et Ă©trange est de la forte race des Ă©crivains rĂ©volutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps Ă  corps la sociĂ©tĂ© moderne. Il arrache Ă  tous quelque chose, aux uns l'illusion, aux autres l'espĂ©rance, Ă  ceux-ci un cri, Ă  ceux-lĂ  un masque. Il fouille le vice, il dissĂšque la passion. Il creuse et sonde l'homme, l'Ăąme, le coeur, les entrailles, le cerveau, l'abĂźme que chacun a en soi. Et, par un don de sa libre et vigoureuse nature, par un privilĂšge des intelligences de notre temps qui, ayant vu de prĂšs les rĂ©volutions, aperçoivent mieux la fin de l'humanitĂ© et comprennent mieux la Providence, Balzac se dĂ©gage souriant et serein de ces redoutables Ă©tudes qui produisaient la mĂ©lancolie chez MoliĂšre et la misanthropie chez Rousseau. VoilĂ  ce qu'il a fait parmi nous. VoilĂ  l'oeuvre qu'il nous laissĂ©, oeuvre haute et solide, robuste entassement d'assises de granit, monument, oeuvre du haut de laquelle resplendira dĂ©sormais sa renommĂ©e. Les grands hommes font leur propre piĂ©destal; l'avenir se charge de la statue. Sa mort a frappĂ© Paris de stupeur. Depuis quelques mois il Ă©tait rentrĂ© en France. Se sentant mourir, il avait voulu revoir la patrie, comme la veille d'un grand voyage on vient embrasser sa mĂšre! Sa vie a Ă©tĂ© courte, mais pleine; plus remplie d'oeuvres que de jours! HĂ©las! ce travailleur puissant et jamais fatiguĂ©, ce philosophe, ce penseur, ce poĂšte, ce gĂ©nie, a vĂ©cu parmi nous de cette vie d'orages, de luttes, de querelles, de combats, commune dans tous les temps Ă  tous les grands hommes. Aujourd'hui, le voici en paix. Il sort des contestations et des haines. Il entre, le mĂȘme jour, dans la gloire et le tombeau. Il va briller dĂ©sormais, au-dessus de toutes ces nuĂ©es qui sont nos tĂȘtes, parmi les Ă©toiles de la patrie. Vous tous qui ĂȘtes ici, est-ce que vous n'ĂȘtes pas tentĂ©s de l'envier? Messieurs, quelle que soit notre douleur en prĂ©sence d'une telle perte, rĂ©signons-nous Ă  ces catastrophes. Acceptons-les dans ce qu'elles ont de poignant et de sĂ©vĂšre. Il est bon peut-ĂȘtre, il est nĂ©cessaire peut-ĂȘtre, dans une Ă©poque comme la nĂŽtre, que de temps en temps une grande mort communique aux esprits dĂ©vorĂ©s de doute et de scepticisme un Ă©branlement religieux. La Providence sait ce qu'elle fait lorsqu'elle met ainsi le peuple face Ă  face avec le mystĂšre suprĂšme, et quand elle lui donne Ă  mĂ©diter la mort qui est la grande Ă©galitĂ© et qui est aussi la grande libertĂ©. La Providece sait ce quelle fait, car c'est lĂ  le plus haut de tous les enseignements. Il ne peut y avoir que d'austĂšres et sĂ©rieuses pensĂ©es dans tous les coeurs, quand un sublime esprit fait majestueusement son entrĂ©e dans l'autre vie! quand un de ces ĂȘtres qui ont planĂ© longtemps au-dessus de la foule avec les ailes visibles du gĂ©nie, dĂ©ployant tout Ă  coup ces autres ailes qu'on ne voit pas, s'enfonce brusquement dans l'inconnu! Non, ce n'est pas l'inconnu! Non, je l'ai dĂ©jĂ  dit dans une autre occasion douloureuse, et je ne me lasserai pas de le rĂ©pĂ©ter, non, ce n'est pas la nuit, c'est la lumiĂšre! Ce n'est pas la fin, c'est le commencement! Ce n'est pas le nĂ©ant, c'est l'Ă©ternitĂ©! N'est-il pas vrai, vous tous qui m'Ă©coutez? De pareils cercueils dĂ©montrent l'immortalitĂ©; en prĂ©sence de certains morts illustres, on sent plus distinctement les destinĂ©es divines de cette intelligence qui traverse la terre pour souffrir et pour se purifier et qu'on appelle l'homme, et l'on se dit qu'il est impossible que ceux qui ont Ă©tĂ© des gĂ©nies pendant leur vie ne soient pas des Ăąmes aprĂšs leur mort! Victor Hugo, LittĂ©rature et philosophie mĂȘlĂ©es, Tome 2 , Paris, Librairie L. Hachette et Cie, 1868 Onvoit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l'homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d'oublier le bas, la fin, l'Ă©cueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; InayaPlume d'Eau Nombre de messages 50031Age 61Date d'inscription 05/11/2010Sujet Victor HUGO 1802-1885 Ce que c'est que la mort Mar 19 Juil - 2350 Ce que c'est que la mortNe dites pas mourir ; dites naĂźtre. voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l'homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ;On tĂąche d'oublier le bas, la fin, l'Ă©cueil,La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ;Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ;Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme vit, usant ses jours Ă  se remplir d'orgueil ;On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe,On monte. Quelle est donc cette aube ? C'est la suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, nouĂ© des mille noeuds funĂšbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu'un dans l'infini Qui chante, et par quelqu'un on sent qu'on est bĂ©ni, Sans voir la main d'oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L'amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d'extase et d'azur s'emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. a7mIM.
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